Aline Nguyen, une créatrice de bijoux passionnée, au parcours atypique, puisant son inspiration dans les émotions et continuellement en quête de dépassement et de connaissances.
ADL : Un petit mot sur votre formation et parcours professionnel ?
N.B. : Après avoir entamé des études en dentisterie, je me suis ensuite dirigée vers la logopédie, intéressée par la rééducation vocale et le côté « psy » de la profession. J’ai exercé le métier de spécialiste vocale, thérapeute manuelle et psychocorporelle pendant 7 ans en tant qu’indépendante. Le CHU de Liège m’a alors proposé de travailler pour lui, mais après quelques mois, j’ai tout quitté car les valeurs de l’hôpital ne correspondaient pas aux miennes. Après une expo de peinture et à la demande de participants, j’ai alors ouvert un atelier de loisirs créatifs et j’ai commencé à donner des cours. C’est également à cette époque que j’ai suivi un atelier puis une formation en pâte d’argent : je rêvais de faire des bijoux depuis mes 14 ans. J’ai commencé à fabriquer mes premiers bijoux, puis lancé ma marque « My Linh » en 2014. C’est grâce à 7 magasins éphémères (à Liège, Bruxelles, Nivelles ...) que j’ai pu tester mon activité et voir si je parvenais à en vivre. Personnellement, si je n’avais pas mené ces expériences, je n’aurais jamais ouvert mon propre magasin. En juillet 2018, lorsque j’ai ouvert mon atelier-boutique à Durbuy, j’ai négocié un bail temporaire d’un an avec le propriétaire pour tester le rythme de Durbuy et voir si mon produit correspondait bien à la demande. Après un an, j’ai fait le point et ai opté pour le déménagement de mon atelier-boutique deux rues plus loin. Cette nouvelle surface est beaucoup plus lumineuse, ses vitrines nettement plus grandes et sa situation idéale. Maintenant, plus question de me chercher. On me trouve !
ADL : Vous êtes passée de dentiste à créatrice de bijoux : un sacré grand écart !
A.N. : Effectivement, mais la dentisterie était plutôt le choix de mon père ... Ceci-dit, je ne regrette rien car toutes les
expériences sont bonnes à prendre. En dentisterie, j’ai appris l’anatomie du corps humain qui m’a servi dans mon métier de thérapeute et de logopède et, dans la création de bijoux, pour
la manipulation des fraises et de la cire. En logopédie, j’ai appris à écouter les gens. Enfin, mon expérience psycho-émotionnelle m’aide à rédiger les petits textes qui accompagnent
systématiquement mes bijoux. En effet, je pars toujours d’une émotion, d’une sensation ou d’une interrelation que j’ai eue avec des gens pour créer un bijou. C’est ainsi que j’ai
créé la collection «Chacun à sa place» lorsque mon fils cherchait sa place dans la famille. Cette année, les collections « Froissé » ou « Passage » ont tout leur sens... Chaque bijou
raconte une histoire !
ADL : Avez-vous d’autres sources d’inspiration ?
A.N. : Oui, les voyages, la nature... La pièce unique « Un petit air de Pologne » a été inspirée d’une rencontre avec une polonaise, par exemple. Quant à la gamme des « Coquelicots », par un besoin de légèreté symbolisé par cette fleur haute et fragile.
ADL : Pourquoi avoir choisi « My Linh » comme marque ?
A.N. : En fait, c’est mon prénom vietnamien qui signifie « belle âme » ou « belle lumière ». Je me suis dit que cela avait du sens. A Durbuy, j’entends souvent « My Link » (rires) que l’on peut traduire par « Mon lien » et c’est bien aussi ! Au fond, chacun le prononce comme il le veut.
ADL : Vendez-vous vos bijoux ailleurs qu’ici ?
A.N. : Si j’écoule principalement mes créations ici, dans mon atelier-boutique, j’ai également quelques magasins partenaires comme «Wattitude» à Liège, une très belle vitrine pour les artisans wallons. C’est d’ailleurs avec Emmanuelle Wégria que j’ai partagé mon 1er "pop-up store". J’ai également testé les ventes privées à domicile, mais ce vecteur n’a pas été très concluant. Il est voué à disparaître au profit de ventes privées sur le web probablement (chacun reste chez soi et je fais visiter ma boutique on-line). Pour ce qu’il en est de l’e-commerce, c’est en cours.
ADL : Quelles sont les étapes de la création d’un bijou ?
A.N. : Je commence par réaliser un prototype en pâte d’argent (ou directement en cire), sans passer nécessairement par un croquis. Une fois les pièces réalisées en cire ou injectée, je grappe les pièces (je construis un arbre de coulée en cire) avec les pièces que je veux produire. Je le dispose dans un cylindre et je le remplis de plâtre, puis l’enfourne toute la nuit pour que la cire s’évacue. Ce cylindre en plâtre va devenir le moule dans lequel je coule le mélange cuivre/argent en fusion. Je décoche alors le cylindre dans de l’eau (c’est-à-dire que je le plonge dans l’eau) et le plâtre se casse. Je récupère ainsi l’exacte réplique de l’arbre en argent 925 ; puis je sépare les bijoux du tronc en les coupant. Je supprime les tiges d’arrivées (les petites branches) et nettoie les fontes avec des fraises ; je soude les attaches, puis met les pièces dans un tonneau de polissage pendant presque 24h. Enfin, je termine par les finitions : chaque bijou est retravaillé à la main pour lui rendre son rendu final.
ADL : Pourquoi mélanger le cuivre et l’argent ?
A.N. : Le cuivre, qui constitue 7,5% de l’alliage, donne de la dureté au matériau, ce qui permet de travailler plus finement certaines
pièces.
ADL : Votre site mentionne 3 gammes de bijoux. Vous pouvez nous en dire plus ?
A.N. : La première est l’«Authentique ». Ce sont les pièces fabriquées en petites séries, toujours au départ d’une situation, d’une émotion de vie ou d’une sensation, comme évoqué précédemment.
La deuxième est l’«Olfactive ». Ces bijoux sont proposés avec un set de 7 perles olfactives colorées pouvant être imbibées de parfum ou d’huile essentielle. Ainsi, ils permettent aux clientes de changer au gré de leurs envies et humeurs, tant au niveau de la couleur que des odeurs.
La troisième est l’«Exclusive » car, comme son nom l’indique, ce sont des pièces uniques. Elles sont créées aussi pour répondre à la demande de la clientèle haut de gamme de plus en plus présente à Durbuy.
ADL : Vous arrive-t-il d’avoir des commandes particulières ?
A.N. : Oui. Dans ce cas, je commence par déterminer avec le client le(s) thème(s) il souhaite exprimer dans le bijou. J’effectue ensuite des recherches, lui fais des propositions et, si un projet le satisfait, je le réalise. Un travail excitant, mais qui demande des heures de travail !
ADL : Vendez-vous d’autres bijoux en dehors de vos créations ?
A.N. : A part des montres d’un designer belge, Bernard Julémont, dont l’univers est fort semblable au mien en version homme, je m’en tiens à mes collections. Mais j’y réfléchis pour les fêtes de fin d’année... D’un point de vue des ventes, c’est plus facile de parler du travail de l’autre que du sien. Vos créations, c’est une petite partie de vous en quelque sorte ... et le vendre, s’en détacher, c’est parfois compliqué.
ADL : A quels types de personnes sont destinés vos bijoux ?
A.N. : Je dirais qu’ils plaisent principalement aux personnes de 30 ans et plus : aux jeunes mamans pour leur côté simple et sobre et aux personnes plus âgées pour les thèmes et les textes qui les accompagnent. Mes collections ne parlent pas vraiment aux plus jeunes (en mode «séduction») qui préfèrent la fantaisie et le décalage. En réalité, c’est plutôt une question de personne et de maturité.
ADL : Vous avez une clientèle touristique, donc pas nécessairement fidèle...
A.N. : Vous seriez étonnée, mais certains touristes viennent et reviennent à Durbuy ! Je compte bien quelques locaux parmi ma clientèle mais, ils ne se signalent pas toujours. Certains ont notamment reçu des chèques à dépenser dans mon commerce. Une bonne façon de se faire connaître !
ADL : J’ai cru comprendre que vous aviez une idée de partenariat dans la Vieille Ville...
A.N. : En effet, tout comme s’organisent des visites de la Vieille Ville avec dégustations de produits du terroir, pourquoi ne pas imaginer des visites des artisans locaux ? Nous sommes de plus en plus nombreux à Durbuy.
ADL : La saison creuse à Durbuy est-elle difficile à gérer ?
A.N. : Elle est la bienvenue pour la création ! Après une saison bien dense entre mai et décembre, et après avoir pris un peu de temps pour moi, je commence les recherches et la réalisation de mes prototypes et pièces dès janvier. En mars, je vais voir mes boutiques partenaires qui passent commande et, en avril, je lance la production pour que tout soit prêt avant mai. Donc, la saison creuse n’est pas si creuse. Ce sont juste les rentrées financières qui sont différées.
ADL : Selon vous, quelles sont les principales clés du succès ?
A.N. : Le travail, avant tout ! Ensuite, je dirais la curiosité, le partage et ... la chance.
ADL : En parlant de partage, vous organisez également des ateliers...
A.N. : En effet, je partage ma passion de la pâte d’argent depuis 10 ans en donnant des cours de création de bijoux. Je donne également des formations certifiantes en pâte d’argent depuis 2014, en tant que formatrice agrée, pour la partie francophone de la Belgique. Cependant, depuis la crise de la Covid, je n’en ai plus données. Il est, en effet, difficile de donner cours dans le contexte actuel et dans les normes de sécurité nécessaires. Je reprendrai vraisemblablement cette partie pédagogique après cette crise sanitaire sans précédent.
ADL : Avez-vous rencontré des difficultés durant votre parcours ?
A.N. : Les principales difficultés sont issues de ma propre histoire. Oser faire le pas, se permettre d’ouvrir une bijouterie sans avoir fait l’école de bijouterie... tels ont été les principaux obstacles sur mon chemin. Avant d’être entrepreneur, il est important de savoir qui on est et de connaître ses limites.
ADL : Où vous voyez-vous dans 10 ans ?
A.N. : Une chose est claire, je ne veux pas être chef d’entreprise, mais rester artisane. Ceci dit, je serai certainement amenée, prochainement, à engager 1 ou 2 personnes (ayant les mêmes valeurs que moi) pour m’aider dans la fabrication.
Si je me permets de rêver (rires), je souhaiterais ouvrir une 2ème surface à ma marque dans laquelle je proposerais des bijoux en or. Ce projet demandera naturellement un autre budget et des investissements en termes de sécurité (porte blindée, atelier sécurisé...).
Et si je rêve plus fort encore (rires), un 2ème magasin dans un endroit touristique en Flandre.
ADL : Et pour conclure, quelle pourrait être votre devise ?
A.N. : « Il faut se donner les moyens d’y arriver ».
Entretien rédigé par Marie-Agnès Piqueray